Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/183

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mais tâchant d’ouvrir de nouvelles voies, j’applauirai d’instinct cette dernière, je la défendrai, j’irai jusqu’à la trouver excellente. Je suis écœuré de médiocrité, j’ai en horreur les plaisanteries clichées, les jugements tout faits, les petitesses de l’esprit. J’ai besoin d’un homme qui pense en homme.

Je n’ai vu la pièce qu’à la seizième représentation. La soirée a été calme. Je me suis trouvé devant une action simple, rapide, logique, qui m’a paru d’une rare puissance et qui m’a causé une profonde émotion. Après tout, je suis peut-être sans expérience, comme l’auteur ; on dira que j’ai peu l’habitude du théâtre et que je me suis laissé gagner trop facilement par l’angoisse de cette lutte entre deux hommes qui ne peuvent sortir que par la mort d’une situation terrible. L’histoire est franche. Elles sont deux femmes : l’une, Cécile, le cœur paisible et droit, ferme dans le devoir et la volonté, a épousé un vieillard goutteux et impotent, qui récompense sa fidélité en lui créant une vie déserte et sombre ; l’autre, Valentine, a la chair faible, le cœur violent et passionné ; elle n’aime plus son mari qui l’adore et cherche à la rendre heureuse, elle aime ailleurs. Voilà le drame dans sa dualité ; le drame poignant et silencieux, plus effroyable peut-être, entre Cécile et ce vieux débauché qui n’a réussi qu’à lui donner de nouveaux tourments, en la rendant mère d’une pauvre petite fille scrofuleuse et mourante ; puis le drame scandaleux, le drame au grand jour, entre Valentine et son mari, Robert, entre Robert et Armand, l’amant de Valentine. Un jour,