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LES ROUGON-MACQUART.

et qu’ils approchaient du pont des Arts, il tomba sur Sandoz et Dubuche, qui descendaient les marches du pont. Impossible de les éviter, on était presque face à face ; d’ailleurs, ses amis l’avaient aperçu sans doute, car ils souriaient. Très pâle, il avançait toujours ; et il pensa tout perdu, en voyant Dubuche faire un mouvement vers lui ; mais déjà Sandoz le retenait, l’emmenait. Ils passèrent d’un air indifférent, ils disparurent dans la cour du Louvre, sans même se retourner. Tous deux venaient de reconnaître l’original de cette tête au pastel, que le peintre cachait avec une jalousie d’amant. Christine, très gaie, n’avait rien remarqué. Claude, le cœur battant à grands coups, lui répondait par des mots étranglés, touché aux larmes, débordant de gratitude pour la discrétion de ses deux vieux compagnons.

À quelques jours de là, il eut encore une secousse. Il n’attendait pas Christine, et il avait donné rendez-vous à Sandoz ; puis, comme elle était montée en courant passer une heure, dans une de ces surprises qui les ravissaient, ils venaient à leur habitude de retirer la clef, lorsqu’on frappa du poing, familièrement. Tout de suite, lui reconnut cette façon de s’annoncer, si bouleversé de l’aventure, qu’il en renversa une chaise : impossible maintenant de ne pas répondre. Mais elle était devenue blême, elle le suppliait d’un geste éperdu, et il demeura immobile, l’haleine coupée. Les coups continuaient dans la porte. Une voix cria : « Claude ! Claude ! » Lui, ne bougeait toujours point, combattu pourtant, les lèvres blanches, les yeux à terre. Un grand silence régna, des pas descendirent, en faisant craquer les marches de bois. Sa poitrine s’était gonflée d’une tristesse immense, il la sentait éclater de remords, à chacun de