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L’ŒUVRE.

avançaient avec une peine infinie, au milieu de la houle des épaules. En rentrant dans la seconde salle, ils parcoururent les murs d’un coup d’œil ; mais le tableau cherché ne s’y trouvait pas. Et ce qu’ils virent, ce fut Irma Bécot au bras de Gagnière, écrasés tous les deux contre une cimaise, lui en train d’examiner une petite toile, tandis qu’elle, ravie de la bousculade, levait son museau rose et riait à la cohue.

— Comment ! dit Sandoz étonné, elle est avec Gagnière, maintenant ?

— Oh ! une passade, expliqua Fagerolles d’un air tranquille. L’histoire est si drôle… Vous savez qu’on vient de lui meubler un appartement très chic ; oui, ce jeune crétin de marquis, celui dont on parle dans les journaux, vous vous souvenez ? Une gaillarde qui ira loin, je l’ai toujours dit !… Mais on a beau la mettre dans des lits armoriés, elle a des rages de lits de sangle, il y a des soirs où il lui faut la soupente d’un peintre. Et c’est ainsi que, lâchant tout, elle est tombée au café Baudequin dimanche, vers une heure du matin. Nous venions de partir, il n’y avait plus là que Gagnière, endormi sur sa chope… Alors, elle a pris Gagnière. 

Irma les avait aperçus et leur faisait de loin des gestes tendres. Ils durent s’approcher. Lorsque Gagnière se retourna, avec ses cheveux pâles et sa petite face imberbe, l’air plus falot encore que de coutume, il ne marqua aucune surprise de les trouver dans son dos.

— C’est inouï, murmura-t-il.

— Quoi donc ? demanda Fagerolles.

— Mais ce petit chef-d’œuvre… Et honnête, et naïf, et convaincu !