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L’ŒUVRE.

fant, tâchant de reprendre haleine dans son mouchoir. Le bruit de ce tableau si drôle devait se répandre, on se ruait des quatre coins du Salon, des bandes arrivaient, se poussaient, voulaient en être. « Où donc ? — Là-bas ! — Oh ! cette farce ! » Et les mots d’esprit pleuvaient plus drus qu’ailleurs, c’était le sujet surtout qui fouettait la gaieté : on ne comprenait pas, on trouvait ça insensé, d’une cocasserie à se rendre malade. « Voilà, la dame a trop chaud, tandis que le monsieur a mis sa veste de velours, de peur d’un rhume. — Mais non, elle est déjà bleue, le monsieur l’a retirée d’une mare, et il se repose à distance, en se bouchant le nez. — Pas poli, l’homme ! il pourrait nous montrer son autre figure. — Je vous dis que c’est un pensionnat de jeunes filles en promenade : regardez les deux qui jouent à saute-mouton. — Tiens ! un savonnage : les chairs sont bleues, les arbres sont bleus, pour sûr qu’il l’a passé au bleu, son tableau ! » Ceux qui ne riaient pas entraient en fureur : ce bleuissement, cette notation nouvelle de la lumière semblaient une insulte. Est-ce qu’on laisserait outrager l’art ? De vieux messieurs brandissaient des cannes. Un personnage grave s’en allait, vexé, en déclarant à sa femme qu’il n’aimait pas les mauvaises plaisanteries. Mais un autre, un petit homme méticuleux, ayant cherché dans le catalogue l’explication du tableau, pour l’instruction de sa demoiselle, et lisant à voix haute le titre : Plein Air, ce fut autour de lui une reprise formidable, des cris, des huées. Le mot courait, on le répétait, on le commentait : plein air, oh ! oui, plein air, le ventre à l’air, tout en l’air, tra la la laire ! Cela tournait au scandale, la foule grossissait encore, les faces se congestionnaient dans la chaleur croissante,