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L’ŒUVRE.

fouettait leur esprit de révolte, il prenait justement la ferme résolution de travailler désormais à obtenir le prix de Rome : cette journée le décidait, il jugeait imbécile de compromettre son talent davantage.

Le soleil baissait à l’horizon, il n’y avait plus qu’un flot descendant de voitures, le retour du Bois, dans l’or pâli du couchant. Et la sortie du Salon devait s’achever, une queue défilait, des messieurs à tête de critique, ayant chacun un catalogue sous le bras.

Gagnière s’enthousiasma brusquement.

— Ah ! Courajod, en voilà un qui a inventé le paysage ! Avez-vous vu sa Mare de Gagny, au Luxembourg ?

— Une merveille ! cria Claude. Il y a trente ans que c’est fait, et on n’a encore rien fichu de plus solide… Pourquoi laisse-t-on ça au Luxembourg ? Ça devrait être au Louvre.

— Mais Courajod n’est pas mort, dit Fagerolles.

— Comment ! Courajod n’est pas mort ! On ne le voit plus, on n’en parle plus. 

Et ce fut une stupeur, lorsque Fagerolles affirma que le maître paysagiste, âgé de soixante-dix ans, vivait quelque part, du côté de Montmartre, retiré dans une petite maison, au milieu de poules, de canards et de chiens. Ainsi, on pouvait se survivre, il y avait des mélancolies de vieux artistes, disparus avant leur mort. Tous se taisaient, un frisson les avait pris, lorsqu’ils aperçurent, passant au bras d’un ami, Bongrand, la face congestionnée, le geste inquiet, qui leur envoya un salut ; et, presque derrière lui, au milieu de ses disciples, Chambouvard se montra, riant très haut, tapant les talons, en maître absolu, certain de l’éternité.

— Tiens ! tu nous lâches ?  demanda Mahoudeau à Chaîne, qui se levait.