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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/177

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L’ŒUVRE.

que chose d’immense et de fort, de simple et de grand, ce quelque chose qui s’indiquait déjà dans nos gares, dans nos halles, avec la solide élégance de leurs charpentes de fer, mais épuré encore, haussé jusqu’à la beauté, disant la grandeur de nos conquêtes.

— Eh ! oui, eh ! oui ! répétait Dubuche, gagné par sa fougue. C’est ce que je veux faire, tu verras un jour… Donne-moi le temps d’arriver, et quand je serai libre, ah ! quand je serai libre !

La nuit venait, Claude s’animait de plus en plus, dans l’énervement de sa passion, d’une abondance, d’une éloquence que les camarades ne lui connaissaient pas. Tous s’excitaient à l’écouter, finissaient par s’égayer bruyamment des mots extraordinaires qu’il lançait ; et lui-même, étant revenu sur son tableau, en parlait avec une gaieté énorme, faisait la charge des bourgeois qui regardaient, imitait la gamme bête des rires. Sur l’avenue, couleur de cendre, on ne voyait plus filer que les ombres de rares voitures. La contre-allée était toute noire, un froid de glace tombait des arbres. Seul, un chant perdu sortait d’un massif de verdure, derrière le café, quelque répétition au Concert de l’Horloge, la voix sentimentale d’une fille s’essayant à la romance.

— Ah ! m’ont-ils amusé, les idiots ! cria Claude dans un dernier éclat. Entendez-vous, pour cent mille francs, je ne donnerais pas ma journée !  

Il se tut, épuisé. Personne n’avait plus de salive. Un silence régna, tous grelottèrent sous l’haleine glacée qui passait. Et ils se séparèrent avec des poignées de main lasses, dans une sorte de stupeur. Dubuche dînait en ville. Fagerolles avait un rendez-vous. Vainement, Jory, Mahoudeau et Gagnière voulurent entraîner Claude chez Foucart, un restaurant à vingt-