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LES ROUGON-MACQUART.

cinq sous : déjà Sandoz l’emmenait à son bras, inquiet de le voir si gai.

— Allons, viens, j’ai promis à ma mère de rentrer. Tu mangeras un morceau avec nous, et ce sera gentil, nous finirons la journée ensemble. 

Tous deux descendirent le quai, le long des Tuileries, serrés l’un contre l’autre, fraternellement. Mais, au pont des Saints-Pères, le peintre s’arrêta net.

— Comment, tu me quittes ! s’écria Sandoz. Puisque tu dînes avec moi !

— Non, merci, j’ai trop mal à la tête… Je rentre me coucher.

Et il s’obstina sur cette excuse.

— Bon ! bon ! finit par dire l’autre en souriant, on ne te voit plus, tu vis dans le mystère… Va, mon vieux, je ne veux pas te gêner. 

Claude retint un geste d’impatience, et, laissant son ami passer le pont, il continua de filer tout seul par les quais. Il marchait les bras ballants, le nez à terre, sans rien voir, à longues enjambées de somnambule que l’instinct conduit. Quai de Bourbon, devant sa porte, il leva les yeux, étonné qu’un fiacre attendît là, arrêté au bord du trottoir, lui barrant le chemin. Et ce fut du même pas mécanique qu’il entra chez la concierge, pour prendre sa clef.

— Je l’ai donnée à cette dame, cria madame Joseph du fond de la loge. Cette femme est là-haut.

— Quelle dame ? demanda-t-il effaré.

— Cette jeune personne… Voyons, vous savez bien ? celle qui vient toujours. 

Il ne savait plus, il se décida à monter, dans une confusion extrême d’idées. La clef se trouvait sur la porte, qu’il ouvrit, puis qu’il referma, sans hâte.

Claude resta un moment immobile. L’ombre avait