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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/179

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L’ŒUVRE.

envahi l’atelier, une ombre violâtre qui pleuvait de la baie vitrée en un mélancolique crépuscule, noyant les choses. Il ne voyait plus nettement le parquet, où les meubles, les toiles, tout ce qui traînait vaguement, semblait se fondre, comme dans l’eau dormante d’une mare. Mais, assise au bord du divan, se détachait une forme sombre, raidie par l’attente, anxieuse et désespérée au milieu de cette agonie du jour. C’était Christine, il l’avait reconnue.

Elle tendit les mains, elle murmura d’une voix basse et entrecoupée :

— Il y a trois heures, oui, trois heures que je suis là, toute seule, à écouter… Au sortir de là-bas, j’ai pris une voiture, et je ne voulais que venir, puis rentrer vite… Mais je serais restée la nuit entière, je ne pouvais pas m’en aller, sans vous avoir serré les mains. 

Elle continua, elle dit son désir violent de voir le tableau, son escapade au Salon, et comment elle était tombée dans la tempête des rires, sous les huées de tout ce peuple. C’était elle qu’on sifflait ainsi, c’était sur sa nudité que crachaient les gens, cette nudité dont le brutal étalage, devant la blague de Paris, l’avait étranglée dès la porte. Et, prise d’une terreur folle, éperdue de souffrance et de honte, elle s’était sauvée, comme si elle avait senti ces rires s’abattre sur sa peau nue, la cingler au sang de coups de fouet. Mais elle s’oubliait maintenant, elle ne songeait qu’à lui, bouleversée par l’idée du chagrin qu’il devait avoir, grossissant l’amertume de cet échec de toute sa sensibilité de femme, débordant d’un besoin de charité immense.

— Ô mon ami, ne vous faites pas de peine !… Je voulais vous voir et vous dire que ce sont des jaloux, que je le trouve très bien, ce tableau, que je