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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/182

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LES ROUGON-MACQUART.

rades ; et, sans s’inquiéter des deux heures de chemin de fer, il la conduisait déjeuner là, comme il l’aurait menée à Asnières. Elle s’égaya beaucoup de ce voyage qui n’en finissait plus. Tant mieux, si c’était au bout du monde ! Il leur semblait que le soir ne devait jamais venir.

À dix heures, ils descendirent à Bonnières ; ils prirent le bac, un vieux bac craquant et filant sur sa chaîne ; car Bennecourt se trouve de l’autre côté de la Seine. La journée de mai était splendide, les petits flots se pailletaient d’or au soleil, les jeunes feuillages verdissaient tendrement, dans le bleu sans tache. Et, au delà des îles, dont la rivière est peuplée en cet endroit, quelle joie que cette auberge de campagne, avec son petit commerce d’épicerie, sa grande salle qui sentait la lessive, sa vaste cour pleine de fumier, où barbotaient des canards !

— Hé ! père Faucheur, nous venons déjeuner… Une omelette, des saucisses, du fromage.

— Est-ce que vous coucherez, monsieur Claude ?

— Non, non, une autre fois… Et du vin blanc, hein ! du petit rose qui gratte la gorge. 

Déjà, Christine avait suivi la mère Faucheur dans la basse-cour ; et, quand cette dernière revint avec des œufs, elle demanda au peintre, avec son rire sournois de paysanne :

— C’est donc que vous êtes marié, à cette heure ?

— Dame ! répondit-il rondement, il le faut bien, puisque je suis avec ma femme. 

Le déjeuner fut exquis, l’omelette trop cuite, les saucisses trop grasses, le pain d’une telle dureté, qu’il dut lui couper des mouillettes pour qu’elle ne s’abîmât pas le poignet. Ils burent deux bouteilles, en entamèrent une troisième, si gais, si bruyants,