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LES ROUGON-MACQUART.

— Tiens ! le père Poirette… C’est donc à vous, la cambuse ?  

Alors, le vieux raconta avec des larmes que ses locataires étaient partis sans le payer, en lui laissant leurs meubles. Et il les invita à entrer.

— Vous pouvez toujours voir, peut-être que vous connaissez du monde… Ah ! il y en a, des Parisiens, qui seraient contents !… Trois cents francs par an avec les meubles, n’est-ce pas que c’est pour rien ?  

Curieusement, ils le suivirent. C’était une grande lanterne de maison, qui semblait taillée dans un hangar : en bas, une cuisine immense et une salle où l’on aurait pu faire danser ; en haut, deux pièces également, si vastes, qu’on s’y perdait. Quant aux meubles, ils consistaient en un lit de noyer, dans l’une des chambres, et en une table et des ustensiles de ménage, qui garnissaient la cuisine. Mais, devant la maison, le jardin abandonné, planté d’abricotiers magnifiques, se trouvait envahi de rosiers géants, couverts de roses ; tandis que, derrière, allant jusqu’au bois de chênes, il y avait un petit champ de pommes de terre, enclos d’une haie vive.

— Je laisserai les pommes de terre, dit le père Poirette.

Claude et Christine s’étaient regardés, dans un de ces brusques désirs de solitude et d’oubli qui alanguissent les amants. Ah ! que ce serait bon de s’aimer là, au fond de ce trou, si loin des autres ! Mais ils sourirent, est-ce qu’ils pouvaient ? ils avaient à peine le temps de reprendre le train, pour rentrer à Paris. Et le vieux paysan, qui était le père de madame Faucheur, les accompagna le long de la berge ; puis, comme ils montaient dans le bac, il leur cria, après tout un combat intérieur :