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LES ROUGON-MACQUART.

par des générations d’ivrognes, elle épuisée, la chair mangée de tous les virus des races finissantes. Ah ! une jolie dégringolade, au milieu des pièces de cent sous ! Gagnez, gagnez donc des fortunes, pour mettre vos fœtus dans de l’esprit-de-vin !  

Il tournait à la férocité, sa femme devait l’étreindre, le garder entre ses bras, et le baiser, et rire, pour qu’il redevînt le bon enfant des premiers jours. Alors, plus calme, il comprenait, il approuvait les mariages de ses deux vieux compagnons. C’était vrai, pourtant, que tous les trois avaient pris femme ! Comme la vie était drôle !

Une fois encore, l’été s’acheva, le quatrième qu’ils passaient à Bennecourt. Jamais ils ne devaient être plus heureux, l’existence leur était douce et à bon compte, au fond de ce village. Depuis qu’ils y habitaient, l’argent ne leur avait pas manqué, les mille francs de rente et les quelques toiles vendues suffisaient à leurs besoins ; même ils faisaient des économies, ils avaient acheté du linge. De son côté, le petit Jacques, âgé de deux ans et demi, se trouvait admirablement de la campagne. Du matin au soir, il se traînait dans la terre, en loques et barbouillé, poussant à sa guise, d’une belle santé rougeaude. Souvent, sa mère ne savait plus par quel bout le prendre, pour le nettoyer un peu ; et, lorsqu’elle le voyait bien manger, bien dormir, elle ne s’en préoccupait pas autrement, elle réservait ses tendresses inquiètes pour son autre grand enfant d’artiste, son cher homme, dont les humeurs noires l’emplissaient d’angoisse. Chaque jour, la situation empirait, ils avaient beau vivre tranquilles, sans cause de chagrin aucune, ils n’en glissaient pas moins à une tristesse, à un malaise qui se tra-