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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/23

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L’ŒUVRE.

trice, chez sa vieille amie, madame Vanzade, devenue presque aveugle.

Claude restait muet, à ces nouveaux détails. Ce couvent, cette orpheline bien élevée, cette aventure qui tournait au romanesque, le rendaient à son embarras, à sa maladresse de gestes et de paroles. Il ne travaillait plus, les yeux baissés sur son croquis.

— C’est joli, Clermont ? demanda-t-il enfin.

— Pas beaucoup, une ville noire… Puis, je ne sais guère, je sortais à peine.

Elle s’était accoudée, elle continua très bas, comme se parlant à elle-même, d’une voix encore brisée des sanglots de son deuil :

— Maman, qui n’était pas forte, se tuait à la besogne… Elle me gâtait, il n’y avait rien de trop beau pour moi, j’avais des professeurs de tout ; et je profitais si peu, d’abord j’étais tombée malade, puis je n’écoutais pas, toujours à rire, le sang à la tête… La musique m’ennuyait, des crampes me tordaient les bras au piano. C’est encore la peinture qui allait le mieux…

Il leva la tête, il l’interrompit d’une exclamation.

— Vous savez peindre !

— Oh ! non, je ne sais rien, rien du tout… Maman, qui avait beaucoup de talent, me faisait faire un peu d’aquarelle, et je l’aidais parfois pour les fonds de ses éventails… Elle en peignait de si beaux ! 

Elle eut, malgré elle, un regard autour de l’atelier, sur les esquisses terrifiantes, dont les murs flambaient ; et, dans ses yeux clairs, un trouble reparut, l’étonnement inquiet de cette peinture brutale. De loin, elle voyait à l’envers l’étude que le peintre avait ébauchée d’après elle, si consternée des tons violents, des grands traits de pastel sabrant les ombres,