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LES ROUGON-MACQUART.

cette haleine de fille qui lui chauffait la barbe, tandis qu’elle le lâchait, en disant :

— Enfin, nous recauserons de ça.

Ce fut le cocher qui alla rue de Douai porter une lettre de Claude, car le valet de chambre avait ouvert la porte de la salle à manger, pour annoncer que madame était servie. Le déjeuner, très délicat, se passa correctement, sous l’œil froid du domestique : on parla des grands travaux qui bouleversaient Paris, on discuta ensuite le prix des terrains, ainsi que des bourgeois ayant de l’argent à placer. Mais, au dessert, lorsque tous trois furent seuls devant le café et les liqueurs, qu’ils avaient décidé de prendre là, sans quitter la table, peu à peu ils s’animèrent, ils s’oublièrent, comme s’ils s’étaient retrouvés au café Baudequin.

— Ah ! mes enfants, dit Irma, il n’y a que ça de bon, rigoler ensemble et se ficher du monde !

Elle roulait des cigarettes, elle venait de prendre le flacon de chartreuse près d’elle, et elle le vidait, très rouge, les cheveux envolés, retombée sur son trottoir de drôlerie canaille.

— Alors, continua Jory qui s’excusait de ne pas lui avoir envoyé le matin un livre qu’elle désirait, alors, j’allais donc l’acheter, hier soir, vers dix heures, lorsque j’ai rencontré Fagerolles…

— Tu mens, dit-elle en l’interrompant d’une voix nette.

Et, pour couper court aux protestations :

— Fagerolles était ici, tu vois bien que tu mens.

Puis, elle se tourna vers Claude :

— Non, c’est dégoûtant, vous n’avez pas idée d’un menteur pareil !… Il ment comme une femme, pour le plaisir, pour des petites saletés sans conséquence.