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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/240

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LES ROUGON-MACQUART.

— Nom de Dieu ! que c’est lourd ! N’importe, j’y laisserai la peau, plutôt que de dégringoler !

Il reprit sa palette, se calma dès le premier coup de pinceau, arrondissant ses épaules de brave homme, avec sa nuque large, où il restait de la carrure obstinée du paysan, dans le croisement de finesse bourgeoise dont il était le produit.

Un silence s’était fait. Jory, les yeux toujours sur le tableau, demanda :

— C’est vendu ?

Le peintre répondit sans hâte, en artiste qui travaillait à ses heures et qui n’avait pas le souci du gain.

— Non… Ça me paralyse, quand j’ai un marchand dans le dos.

Et, sans cesser de travailler, il continua, mais goguenard à présent.

— Ah ! on commence à en faire un négoce, avec la peinture !… Positivement, je n’ai jamais vu ça, moi qui tourne à l’ancêtre… Ainsi, vous, l’aimable journaliste, leur en avez-vous flanqué des fleurs aux jeunes, dans cet article où vous me nommiez ! Ils étaient deux ou trois cadets là dedans qui avaient tout bonnement du génie.

Jory se mit à rire.

— Dame ! quand on a un journal, c’est pour en user. Et puis, le public aime ça, qu’on lui découvre des grands hommes.

— Sans doute, la bêtise du public est infinie, je veux bien que vous l’exploitiez… Seulement, je me rappelle nos débuts, à nous autres. Fichtre ! nous n’étions pas gâtés, nous avions devant nous dix ans de travail et de lutte, avant de pouvoir imposer grand comme ça de peinture… Tandis que, maintenant, le