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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/326

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LES ROUGON-MACQUART.

chemar de cette rivale les hantât, fût toujours entre eux, plus puissant que le réel, dans l’atelier, à table, au lit, partout ! Une poussière, un rien, de la couleur sur de la toile, une simple apparence qui rompait tout leur bonheur, lui, silencieux, indifférent, brutal parfois, elle, torturée de son abandon, désespérée de ne pouvoir chasser de son ménage cette concubine, si envahissante et si terrible dans son immobilité d’image !

Et ce fut dès lors que Christine, décidément battue, sentit peser sur elle toute la souveraineté de l’art. Cette peinture, qu’elle avait déjà acceptée sans restrictions, elle la haussa encore, au fond d’un tabernacle farouche, devant lequel elle demeurait écrasée, comme devant ces puissants dieux de colère, que l’on honore, dans l’excès de haine et d’épouvante qu’ils inspirent. C’était une peur sacrée, la certitude qu’elle n’avait plus à lutter, qu’elle serait broyée ainsi qu’une paille, si elle s’entêtait davantage. Les toiles grandissaient comme des blocs, les plus petites lui semblaient triomphales, les moins bonnes l’accablaient de leur victoire ; tandis qu’elle ne les jugeait plus, à terre, tremblante, les trouvant toutes formidables, répondant toujours aux questions de son mari :

— Oh ! très bien !… Oh ! superbe !… Oh ! extraordinaire, extraordinaire, celle-là !  

Cependant, elle était sans colère contre lui, elle l’adorait d’une tendresse en pleurs, tellement elle le voyait se dévorer lui-même. Après quelques semaines d’heureux travail, tout s’était gâté, il ne pouvait se sortir de sa grande figure de femme. C’était pourquoi il tuait son modèle de fatigue, s’acharnant pendant des journées, puis lâchant tout pour un