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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/465

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L’ŒUVRE.

rien être pour toi, se sentir de plus en plus jetée à l’écart, en arriver à un rôle de servante ; et l’autre, la voleuse, la voir s’installer entre toi et moi, et te prendre, et triompher, et m’insulter… Car ose donc dire qu’elle ne t’a pas envahi membre à membre, le cerveau, le cœur, la chair, tout ! Elle te tient comme un vice, elle te mange. Enfin, elle est ta femme, n’est-ce pas ? Ce n’est plus moi, c’est elle qui couche avec toi… Ah, maudite ! ah, gueuse !

Maintenant, Claude l’écoutait, dans l’étonnement de ce grand cri de souffrance, mal éveillé de son rêve exaspéré de créateur, ne comprenant pas bien encore pourquoi elle lui parlait ainsi. Et, devant cet hébétement, ce frissonnement d’homme surpris et dérangé dans sa débauche, elle s’emporta davantage, elle monta sur l’échelle, lui arracha la bougie du poing, la promena à son tour devant le tableau.

— Mais regarde donc ! mais dis-toi donc où tu en es ! C’est hideux, c’est lamentable et grotesque, il faut que tu t’en aperçoives à la fin ! Hein ? est-ce laid, est-ce imbécile ?… Tu vois bien que tu es vaincu, pourquoi t’obstiner encore ? Ça n’a pas de bon sens, voilà ce qui me révolte… Si tu ne peux être un grand peintre, la vie nous reste, ah ! la vie, la vie…

Elle avait posé la bougie sur la plate-forme de l’échelle, et comme il était descendu, trébuchant, elle sauta pour le rejoindre, ils se trouvèrent tous les deux en bas, lui tombé sur la dernière marche, elle accroupie, serrant avec force les mains inertes qu’il laissait pendre.

— Voyons, il y a la vie… Chasse ton cauchemar, et vivons, vivons ensemble… N’est-ce pas trop bête de n’être que deux, de vieillir déjà, et de nous torturer, de ne pas savoir nous faire du bonheur ? La terre