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L’ŒUVRE.

Claude, obéissant au geste dominateur dont elle lui montrait le tableau, s’était levé et regardait. La bougie, restée sur la plate-forme de l’échelle, en l’air, éclairait comme d’une lueur de cierge la Femme, tandis que toute l’immense pièce demeurait plongée dans les ténèbres. Il s’éveillait enfin de son rêve, et la Femme, vue ainsi d’en bas, avec quelques pas de recul, l’emplissait de stupeur. Qui donc venait de peindre cette idole d’une religion inconnue ? qui l’avait faite de métaux, de marbres et de gemmes, épanouissant la rose mystique de son sexe, entre les colonnes précieuses des cuisses, sous la voûte sacrée du ventre ? Était-ce lui qui, sans le savoir, était l’ouvrier de ce symbole du désir insatiable, de cette image extra-humaine de la chair, devenue de l’or et du diamant entre ses doigts, dans son vain effort d’en faire de la vie ? Et, béant, il avait peur de son œuvre, tremblant de ce brusque saut dans l’au-delà, comprenant bien que la réalité elle même ne lui était plus possible, au bout de sa longue lutte pour la vaincre et la repétrir plus réelle, de ses mains d’homme.

— Tu vois ! tu vois ! répétait victorieusement Christine.

Et lui, très bas, balbutiait :

— Oh ! qu’ai-je fait ?… Est-ce donc impossible de créer ? nos mains n’ont-elles donc pas la puissance de créer des êtres ?

Elle le sentit faiblir, elle le saisit entre ses deux bras.

— Mais pourquoi ces bêtises, pourquoi autre chose que moi, qui t’aime ?… Tu m’as pris pour modèle, tu as voulu des copies de mon corps. À quoi bon, dis ? est-ce que ces copies me valent ? elles