Aller au contenu

Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/484

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
484
LES ROUGON-MACQUART.

elle qui l’a étranglé. Si vous saviez comme il y tenait ! Jamais il ne m’a été possible de la chasser de lui… Alors, comment voulez-vous qu’on ait la vue claire, le cerveau équilibré et solide, quand de pareilles fantasmagories repoussent dans le crâne ?… Même après la vôtre, notre génération est trop encrassée de lyrisme pour laisser des œuvres saines. Il faudra une génération, deux générations peut-être, avant qu’on peigne et qu’on écrive logiquement, dans la haute et pure simplicité du vrai… Seule, la vérité, la nature, est la base possible, la police nécessaire, en dehors de laquelle la folie commence ; et qu’on ne craigne pas d’aplatir l’œuvre, le tempérament est là, qui emportera toujours le créateur. Est-ce que quelqu’un songe à nier la personnalité, le coup de pouce involontaire qui déforme et qui fait notre pauvre création à nous !

Mais il tourna la tête, il ajouta brusquement :

— Tiens ! qu’est-ce qui brûle ?… Ils allument donc des feux de joie, ici ?

Le convoi venait de tourner, en arrivant au Rond-Point, où était l’ossuaire, le caveau commun, peu à peu empli de tous les débris enlevés des fosses, et dont la pierre, au centre d’une pelouse ronde, disparaissait sous un amoncellement de couronnes, déposées là au hasard par la piété des parents qui n’avaient plus leurs morts à eux. Et, comme le corbillard roulait doucement à gauche, dans l’avenue transversale numéro 2, un crépitement s’était fait entendre, une grosse fumée avait grandi, au-dessus des petits platanes bordant le trottoir. On approchait avec lenteur, on apercevait de loin un gros tas de choses terreuses qui s’allumaient. Puis, on finit par comprendre. Cela se trouvait au bord d’un vaste