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L’ŒUVRE.

carré, qu’on avait fouillé profondément de larges sillons parallèles, pour en arracher les bières, afin de rendre le sol à d’autres corps, de même que le paysan retourne un chaume avant de l’ensemencer de nouveau. Les longues fosses vides bâillaient, les buttes de terre grasse se purgeaient sous le ciel ; et, dans ce coin du champ, ce qu’on brûlait ainsi, c’étaient les planches pourries des bières, un bûcher énorme de planches fendues, brisées, mangées par la terre, tombées en un terreau rougeâtre. Elles refusaient de flamber, humides de boue humaine, éclatant en sourdes détonations, fumant seulement avec une intensité croissante, de grandes fumées qui montaient dans le ciel blafard, et que la bise de novembre rabattait, déchirait en lanières rousses, volantes, au travers des tombes basses de toute une moitié du cimetière.

Sandoz et Bongrand avaient regardé, sans une parole. Puis, quand ils eurent dépassé le feu, le premier reprit :

— Non, il n’a pas été l’homme de la formule qu’il apportait. Je veux dire qu’il n’a pas eu le génie assez net pour la planter debout et l’imposer dans une œuvre définitive… Et voyez, autour de lui, après lui, comme les efforts s’éparpillent ! Ils en restent tous aux ébauches, aux impressions hâtives, pas un ne semble avoir la force d’être le maître attendu. N’est-ce pas irritant, cette notation nouvelle de la lumière, cette passion du vrai poussée jusqu’à l’analyse scientifique, cette évolution commencée si originalement, et qui s’attarde, et qui tombe aux mains des habiles, et qui n’aboutit point, parce que l’homme nécessaire n’est pas né ?… Bah ! l’homme naîtra, rien ne se perd, il faut bien que la lumière soit.