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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/54

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LES ROUGON-MACQUART.

nait plus. Énervé, impatient, il la cernait d’un trait vigoureux, pour la rétablir au plan qu’elle devait occuper.

— Viens-tu ? répéta son ami.

— Tout à l’heure, que diable ! rien ne presse… Laisse-moi indiquer ça, et je suis à vous. 

Sandoz hocha la tête ; puis, doucement, de peur de l’exaspérer davantage :

— Tu as tort de t’acharner, mon vieux… Oui, tu es éreinté, tu crèves de faim, et tu vas encore gâter ton affaire, comme l’autre jour. 

D’un geste irrité, le peintre lui coupa la parole. C’était sa continuelle histoire : il ne pouvait lâcher à temps la besogne, il se grisait de travail, dans le besoin d’avoir une certitude immédiate, de se prouver qu’il tenait enfin son chef-d’œuvre. Des doutes venaient de le désespérer, au milieu de sa joie d’une bonne séance ; avait-il eu raison de donner une telle puissance au veston de velours ? retrouverait-il la note éclatante qu’il voulait pour sa figure nue ? Et il serait plutôt mort là, que de ne pas savoir tout de suite. Il tira fiévreusement la tête de Christine du carton où il l’avait cachée, comparant, s’aidant de ce document pris sur nature.

— Tiens ! s’écria Dubuche, où as-tu dessiné ça ?… Qui est-ce ?  

Claude, saisi de cette question, ne répondit point ; puis, sans raisonner, lui qui leur disait tout, il mentit, cédant à une pudeur singulière, au sentiment délicat de garder pour lui seul son aventure.

— Hein ! qui est-ce ? répétait l’architecte.

— Oh ! personne, un modèle.

— Vrai, un modèle ! Toute jeune, n’est-ce pas ? Elle est très bien… Tu devrais me donner l’adresse,