Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/112

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Gustave : Germaine Cœur le matin, madame Conin l’après-midi, il mettait les morceaux doubles, le jeune homme ! Et, à deux reprises, il regarda encore la porte, afin de la bien reconnaître, tenté d’en être, lui aussi.

Rue Vivienne, au moment où il entrait chez Kolb, Saccard tressaillit et s’arrêta de nouveau. Une musique légère, cristalline, qui sortait du sol, pareille à la voix des fées légendaires, l’enveloppait ; et il reconnut la musique de l’or, la continuelle sonnerie de ce quartier du négoce et de la spéculation, entendue déjà le matin. La fin de la journée en rejoignait le commencement. Il s’épanouit, à la caresse de cette voix, comme si elle lui confirmait le bon présage.

Justement, Kolb se trouvait en bas, à l’atelier de fonte ; et, en ami de la maison, Saccard descendit l’y rejoindre. Dans le sous-sol nu, que de larges flammes de gaz éclairaient éternellement, les deux fondeurs vidaient à la pelle les caisses doublées de zinc, pleines, ce jour-là, de pièces espagnoles, qu’ils jetaient au creuset, sur le grand fourneau carré. La chaleur était forte, il fallait parler haut pour s’entendre, au milieu de cette sonnerie d’harmonica, vibrante sous la voûte basse. Des lingots fondus, des pavés d’or, d’un éclat vif de métal neuf, s’alignaient le long de la table du chimiste-essayeur, qui en arrêtait les titres. Et, depuis le matin, plus de six millions avaient passé là, assurant au banquier un bénéfice de trois ou quatre cents francs à peine ; car l’arbitrage sur l’or, cette différence réalisée entre deux cours, étant des plus minimes, s’appréciant par millièmes, ne peut donner un gain que sur des quantités considérables de métal fondu. De là, ce tintement d’or, ce ruissellement d’or, du matin au soir, d’un bout de l’année à l’autre, au fond de cette cave, où l’or venait en pièces monnayées, d’où il partait en lingots, pour revenir en pièces et repartir en lingots, indéfiniment, dans l’unique but de laisser aux mains du trafiquant quelques parcelles d’or.

Dès que Kolb, un homme petit, très brun, dont le nez en bec d’aigle, sortant d’une grande barbe, décelait l’ori-