Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/132

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naire, dont il avait inventé le signalement, le contraire du sien. Cela se trouvait être purement fortuit, il en restait si troublé, qu’il hésitait à répondre.

— Voyons, le reconnaissez-vous ?

— Mon Dieu ! monsieur le juge, je vous le répète, ç’a été une sensation simplement, un individu qui m’a frôlé… Sans doute, celui-ci est grand comme l’autre, et il est blond, et il n’a pas de barbe…

— Enfin, le reconnaissez-vous ?

Le sous-chef, oppressé, était tout tremblant d’une sourde lutte intérieure. L’instinct de la conservation l’emporta.

— Je ne peux pas affirmer. Mais il y a de ça, beaucoup de ça, pour sûr.

Cette fois, Cabuche commença à jurer. À la fin, on l’embêtait, avec ces histoires. Puisque ce n’était pas lui, il voulait partir. Et, sous le flot de sang qui lui montait au crâne, il tapa des poings, il devint si terrible, que les gendarmes, rappelés, l’emmenèrent. Mais, en face de cette violence, de ce saut de la bête attaquée qui se jette en avant, M. Denizet triomphait. Maintenant, sa conviction était faite, et il le laissa voir.

— Avez-vous remarqué ses yeux ? Moi, c’est aux yeux que je les reconnais… Ah ! son compte est bon, il est à nous !

Les Roubaud, immobiles, se regardèrent. Alors, quoi ? c’était fini, ils étaient sauvés, puisque la justice tenait le coupable. Ils restaient un peu étourdis, la conscience douloureuse, du rôle que les faits venaient de les forcer à jouer. Mais une joie les inondait, emportait leurs scrupules, et ils souriaient à Jacques, ils attendaient, allégés, ayant soif de grand air, que le juge les congédiât tous les trois, lorsque l’huissier apporta une lettre à ce dernier.

Vivement, M. Denizet s’était remis à son bureau, pour la lire avec attention, oubliant les trois témoins. C’était la