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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/133

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lettre du ministère, les avis qu’il aurait dû avoir la patience d’attendre, avant de pousser de nouveau l’instruction. Et ce qu’il lisait devait rabattre de son triomphe, car son visage peu à peu se glaçait, reprenait sa morne immobilité. À un moment, il leva la tête, jeta un coup d’œil oblique sur les Roubaud, comme si leur souvenir lui fût revenu, à une des phrases. Ceux-ci, perdant leur courte joie, retombés à leur malaise, se sentaient repris. Pourquoi donc les avait-il regardés ? Avait-on, à Paris, retrouvé les trois lignes d’écriture, ce billet maladroit dont la peur les hantait ? Séverine connaissait bien M. Camy-Lamotte, pour l’avoir souvent vu chez le président, et elle savait qu’il était chargé de mettre en ordre les papiers du mort. Un regret cuisant torturait Roubaud, celui de ne s’être pas avisé d’envoyer à Paris sa femme, qui aurait fait des visites utiles, qui se serait tout au moins assuré la protection du secrétaire général, dans le cas où la Compagnie, ennuyée des mauvais bruits, songerait à le destituer. Et tous deux ne quittaient plus du regard le juge, sentant leur inquiétude croître à mesure qu’ils le voyaient s’assombrir, visiblement déconcerté par cette lettre, qui dérangeait toute sa bonne besogne de la journée.

Enfin, M. Denizet lâcha la lettre, et il demeura un moment absorbé, les yeux ouverts sur les Roubaud et sur Jacques. Puis, se résignant, se parlant haut à lui-même :

— Eh bien ! on verra, on reprendra tout ça… Vous pouvez vous retirer.

Mais, comme les trois sortaient, il ne put résister au besoin de savoir, d’éclaircir le point grave qui détruisait son nouveau système, bien qu’on lui recommandât de ne plus rien faire, sans une entente préalable.

— Non, vous, restez un instant, j’ai encore une question à vous poser.

Dans le couloir, les Roubaud s’arrêtèrent. Les portes étaient ouvertes, et ils ne pouvaient partir : quelque chose