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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/156

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une pelle. Et, sans transition, de toute son âme, à demi-voix :

— Vous me croyez coupable ?

Il frémit légèrement, il arrêta ses yeux dans les siens.

— Oui, répondit-il, de la même voix basse et émue.

Alors, elle serra sa main qu’elle avait gardée, d’une étreinte plus étroite ; et elle ne continua pas tout de suite, elle sentait leur fièvre se confondre.

— Vous vous trompez, je ne suis pas coupable.

Et elle disait cela, non pour le convaincre, lui, mais uniquement pour l’avertir qu’elle devait être innocente, aux yeux des autres. C’était l’aveu de la femme qui dit non, dans le désir que ce soit non, quand même et toujours.

— Je ne suis pas coupable… Vous ne me ferez plus la peine de croire que je suis coupable.

Et elle était très heureuse, en voyant qu’il laissait ses yeux dans les siens, profondément. Sans doute, ce qu’elle venait de faire là, c’était le don de sa personne ; car elle se livrait, et plus tard, s’il la réclamait, elle ne pourrait se refuser. Mais le lien était noué entre eux, indissoluble : elle le défiait bien de parler maintenant, il était à elle comme elle était à lui. L’aveu les avait unis.

— Vous ne me ferez plus de peine, vous me croyez ?

— Oui, je vous crois, répondit-il en souriant.

Pourquoi l’aurait-il forcée à causer brutalement de cette chose affreuse ? Plus tard, elle lui conterait tout, si elle en éprouvait le besoin. Cette façon de se tranquilliser, en se confessant à lui, sans rien dire, le touchait beaucoup, ainsi qu’une marque d’infinie tendresse. Elle était si confiante, si fragile, avec ses doux yeux de pervenche ! elle lui apparaissait si femme, toute à l’homme, toujours prête à le subir, pour être heureuse ! Et, surtout, ce qui le ravissait, tandis que leurs mains restaient jointes et que leurs regards ne se quittaient plus, c’était de ne pas retrouver en lui son malaise, cet effrayant frisson qui l’agitait,