Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/247

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Elle se tut, le serra plus étroitement, d’une étreinte où le bonheur de la possession s’aiguisait de rancune. Puis, après une rêverie frémissante :

— Oh ! je le hais, je le hais !

Jacques fut surpris. Lui, n’en voulait aucunement à Roubaud. Il le trouvait très accommodant.

— Tiens ! pourquoi donc ? demanda-t-il. Il ne nous gêne guère.

Elle ne répondit point, elle répéta :

— Je le hais… Maintenant, rien qu’à le sentir à côté de moi, c’est un supplice. Ah ! si je pouvais, comme je me sauverais, comme je resterais avec toi !

À son tour, touché de cet élan d’ardente tendresse, il la ramena davantage, l’eut contre sa chair, de ses pieds à son épaule, toute sienne. Mais, de nouveau, blottie de la sorte, sans presque détacher les lèvres collées à son cou, elle dit doucement :

— C’est que tu ne sais pas, chéri…

C’était l’aveu qui revenait, fatal, inévitable. Et, cette fois, il en eut la nette conscience, rien au monde ne le retarderait, car il montait en elle du désir éperdu d’être reprise et possédée. On n’entendait plus un souffle dans la maison, la marchande de journaux elle-même devait dormir profondément. Au-dehors, Paris sous la neige n’avait pas un roulement de voiture, enseveli, drapé de silence ; et le dernier train du Havre, qui était parti à minuit vingt, paraissait avoir emporté la vie dernière de la gare. Le poêle ne ronflait plus, le feu achevait de se consumer en braise, avivant encore la tache rouge du plafond, arrondie là-haut comme un œil d’épouvante. Il faisait si chaud, qu’une brume lourde, étouffante, semblait peser sur le lit, où tous deux, pâmés, confondaient leurs membres.

— Chéri, c’est que tu ne sais pas…

Alors, il parla lui aussi, irrésistiblement.