Aller au contenu

Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/248

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Si, si, je sais.

— Non, tu te doutes peut-être, mais tu ne peux pas savoir.

— Je sais qu’il a fait ça pour l’héritage.

Elle eut un mouvement, un petit rire nerveux, involontaire.

— Ah ! oui, l’héritage !

Et tout bas, si bas, qu’un insecte de nuit frôlant les vitres aurait bourdonné plus haut, elle conta son enfance chez le président Grandmorin, voulut mentir, ne pas confesser ses rapports avec celui-ci, puis céda à la nécessité de la franchise, trouva un soulagement, un plaisir presque, en disant tout. Son murmure léger, dès lors, coula, intarissable.

— Imagine-toi, c’était ici, dans cette chambre, en février dernier, tu te rappelles, au moment de son affaire avec le sous-préfet… Nous avions déjeuné, très gentiment, comme nous venons de souper, là sur cette table. Naturellement, il ne savait rien, je n’étais pas allée lui conter l’histoire… Et voilà qu’à propos d’une bague, un ancien cadeau, à propos de rien, je ne sais comment il s’est fait qu’il a tout compris… Ah ! mon chéri, non, non, tu ne peux pas te figurer de quelle façon il m’a traitée !

Elle frémissait, il sentait ses petites mains qui s’étaient crispées sur sa peau nue.

— D’un coup de poing, il m’a abattue par terre… Et puis, il m’a traînée par les cheveux… Et puis, il levait son talon sur ma figure, comme s’il voulait l’écraser… Non ! vois-tu, tant que je vivrai, je me souviendrai de ça… Encore les coups, mon Dieu ! Mais si je te répétais toutes les questions qu’il m’a faites, enfin ce qu’il m’a forcée à lui raconter ! Tu vois, je suis très franche, puisque je t’avoue les choses, lorsque rien, n’est-ce pas ? ne m’oblige à te les dire. Eh bien ! jamais je n’oserai te donner même une simple idée des sales questions auxquelles il m’a fallu répondre, car il m’aurait assommée,