Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/249

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c’est certain… Sans doute, il m’aimait, il a dû avoir un gros chagrin en apprenant tout ça ; et j’accorde que j’aurais agi plus honnêtement, si je l’avais prévenu avant le mariage. Seulement, il faut comprendre. C’était ancien, c’était oublié. Il n’y a qu’un vrai sauvage pour se rendre ainsi fou de jalousie… Voyons, toi, mon chéri, est-ce que tu vas ne plus m’aimer, parce que tu sais ça, maintenant ?

Jacques n’avait pas bougé, inerte, réfléchissant, entre ces bras de femme qui se resserraient à son cou, à ses reins, ainsi que des nœuds de couleuvres vives. Il était très surpris, le soupçon d’une pareille histoire ne lui étant jamais venu. Comme tout se compliquait, lorsque le testament aurait suffi à expliquer si bien les choses ! Du reste, il aimait mieux ça, la certitude que le ménage n’avait pas tué pour de l’argent, le soulageait d’un mépris, dont il avait parfois la conscience brouillée, même sous les baisers de Séverine.

— Moi, ne plus t’aimer, pourquoi ?… Je me moque de ton passé. Ce sont des affaires qui ne me regardent pas… Tu es la femme de Roubaud, tu as bien pu être celle d’un autre.

Il y eut un silence. Tous deux s’étreignaient à s’étouffer, et il sentait sa gorge ronde, gonflée et dure, dans son flanc.

— Ah ! tu as été la maîtresse de ce vieux. Tout de même, c’est drôle.

Mais elle se traîna le long de lui, jusqu’à sa bouche, balbutiant dans un baiser :

— Il n’y a que toi que j’aime, jamais je n’ai aimé que toi… Oh ! les autres, si tu savais ! Avec eux, vois-tu, je n’ai pas seulement appris ce que ça pouvait être ; tandis que toi, mon chéri, tu me rends si heureuse !

Elle l’enflammait de ses caresses, s’offrant, le voulant, le reprenant de ses mains égarées. Et, pour ne pas céder tout de suite, lui qui brûlait comme elle, il dut la retenir, à pleins bras.