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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/250

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— Non, non, attends, tout à l’heure… Et, alors, ce vieux ?

Très bas, dans une secousse de tout son être, elle avoua.

— Oui, nous l’avons tué.

Le frisson du désir se perdait dans cet autre frisson de mort, revenu en elle. C’était, comme au fond de toute volupté, une agonie qui recommençait. Un instant, elle resta suffoquée par une sensation ralentie de vertige. Puis, le nez de nouveau dans le cou de son amant, du même léger souffle :

— Il m’a fait écrire au président de partir par l’express, en même temps que nous, et de ne se montrer qu’à Rouen… Moi, je tremblais dans mon coin, éperdue en songeant au malheur où nous allions. Et il y avait, en face de moi, une femme en noir qui ne disait rien et qui me faisait grand’peur. Je ne la voyais même pas, je m’imaginais qu’elle lisait clairement dans nos crânes, qu’elle savait très bien ce que nous voulions faire… C’est ainsi que se sont passées les deux heures, de Paris à Rouen. Je n’ai pas dit un mot, je n’ai pas remué, fermant les yeux, pour faire croire que je dormais. À mon côté, je le sentais, immobile lui aussi, et ce qui m’épouvantait, c’était de connaître les choses terribles qu’il roulait dans sa tête, sans pouvoir deviner exactement ce qu’il avait résolu de faire… Ah ! quel voyage, avec ce flot tourbillonnant de pensées, au milieu des coups de sifflet, des cahots et du grondement des roues !

Jacques, qui avait sa bouche dans l’épaisse toison odorante de sa chevelure, la baisait, à intervalles réguliers, de longs baisers inconscients.

— Mais, puisque vous n’étiez pas dans le même compartiment, comment avez-vous fait pour le tuer ?

— Attends, tu vas comprendre… C’était le plan de mon mari. Il est vrai que, s’il a réussi, c’est bien le hasard qui