causer avec le président, je comprenais que sa résolution restait immuable et farouche. Pourtant, il était très calme, il parlait même avec gaieté, de son air habituel ; et ce devait être dans son clair regard seul, fixé par moments sur moi, que je lisais l’obstination de sa volonté. Il le tuerait, à un kilomètre encore, à deux peut-être, au point juste qu’il avait fixé, et que j’ignorais : cela était certain, cela éclatait jusque dans les coups d’œil tranquilles dont il enveloppait l’autre, celui qui, tout à l’heure, ne serait plus. Je ne disais rien, j’avais un grand tremblement intérieur que je m’efforçais de cacher, en affectant de sourire, dès qu’on me regardait. Pourquoi, alors, n’ai-je pas même songé à empêcher tout ça ? Ce n’est que plus tard, lorsque j’ai voulu comprendre, que je me suis étonnée de ne m’être pas mise à crier par la portière, ou de ne pas avoir tiré le bouton d’alarme. En ce moment-là, j’étais comme paralysée, je me sentais radicalement impuissante. Sans doute mon mari me semblait dans son droit ; et, puisque je te dis tout, chéri, il faut bien que je confesse aussi cela : j’étais malgré moi, de tout mon être, avec lui contre l’autre, parce que les deux m’avaient eue, n’est-ce pas ? et que lui était jeune, tandis que l’autre, oh ! les caresses de l’autre… Enfin, est-ce qu’on sait ? On fait des choses qu’on ne croirait jamais pouvoir faire. Quand je pense que je n’oserais pas saigner un poulet ! Ah ! cette sensation de nuit de tempête, ah ! ce noir épouvantable qui hurlait au fond de moi !
Et cette créature frêle, si mince entre ses bras, Jacques la trouvait maintenant impénétrable, sans fond, de cette profondeur noire dont elle parlait. Il avait beau la nouer à lui plus étroitement, il n’entrait pas en elle. Une fièvre le prenait, à ce récit de meurtre, bégayé dans leur étreinte.
— Dis-moi, l’as-tu donc aidé à tuer le vieux ?
— J’étais dans un coin, continua-t-elle sans répondre.