Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/257

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« Viens donc, nom de Dieu ! notre compartiment est vide, nous y retournons. » Vide, notre compartiment, il y était donc allé ? La femme en noir, celle qui ne parlait pas, qu’on ne voyait pas, était-il bien certain qu’elle ne fût pas restée dans un coin ?… « Veux-tu venir, ou je te fous sur la voie comme l’autre ! » Il était remonté, il me poussait, brutal, fou. Et je me trouvai dehors, sur le marchepied, les deux mains cramponnées à la tringle de cuivre. Lui, descendu derrière moi, avait refermé soigneusement la portière. « Va donc, va donc ! » Mais je n’osais pas, emportée dans le vertige de la course, flagellée par le vent qui soufflait en tempête. Mes cheveux se dénouèrent, je croyais que mes doigts raidis allaient laisser échapper la tringle. « Va donc, nom de Dieu ! » Il me poussait toujours, je dus marcher, lâchant une main après l’autre, me collant contre les voitures, au milieu du tourbillon de mes jupes, dont le claquement me liait les jambes. Déjà, au loin, après une courbe, on apercevait les lumières de la station de Barentin. La machine se mit à siffler. « Va donc, nom de Dieu ! » Oh ! ce bruit d’enfer, cette trépidation violente dans laquelle je marchais ! Il me semblait qu’un orage m’avait prise, me roulait comme une paille, pour aller, là-bas, m’écraser contre un mur. Derrière mon dos, la campagne fuyait, les arbres me suivaient d’un galop enragé, tournant sur eux-mêmes, tordus, jetant chacun une plainte brève, au passage. À l’extrémité du wagon, lorsqu’il me fallut enjamber pour atteindre le marchepied du wagon suivant et saisir l’autre tringle, je m’arrêtai, à bout de courage. Jamais je n’aurais la force. « Va donc, nom de Dieu ! » Il était sur moi, il me poussait, et je fermai les yeux, et je ne sais comment je continuai à avancer, par la seule force de l’instinct, ainsi qu’une bête qui a planté ses griffes et qui ne veut pas tomber. Comment aussi ne nous a-t-on pas vus ? Nous avons passé devant trois voitures, dont une, de deuxième classe, était absolument bondée. Je me sou-