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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/299

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et lui, bouleversé, débordait du mépris de lui-même. Il fallait en finir.

— Jeudi, là-bas, veux-tu ? demanda-t-elle à voix basse.

— Oui, jeudi, je t’attendrai.

Ce jeudi-là, la nuit fut très noire, un ciel sans étoiles, opaque et sourd, chargé des brumes de la mer. Comme d’habitude, Jacques, arrivé le premier, debout derrière la maison des Sauvagnat, guetta la venue de Séverine. Mais les ténèbres étaient si épaisses, et elle accourait d’un pas si léger, qu’il tressaillit, frôlé par elle, sans l’avoir aperçue. Déjà, elle était dans ses bras, inquiète de le sentir tremblant.

— Je t’ai fait peur, murmura-t-elle.

— Non, non, je t’attendais… Marchons, personne ne peut nous voir.

Et, les bras liés à la taille, doucement, ils se promenèrent par les terrains vagues. De ce côté du dépôt, les becs de gaz étaient rares ; certains enfoncements d’ombre en manquaient tout à fait ; tandis qu’ils pullulaient au loin, vers la gare, pareils à des étincelles vives.

Longtemps, ils allèrent ainsi, sans une parole. Elle avait posé la tête à son épaule, elle la haussait parfois, le baisait au menton ; et, se penchant, il lui rendait ce baiser sur la tempe, à la racine des cheveux. Le coup grave et unique d’une heure du matin venait de sonner aux églises lointaines. S’ils ne parlaient pas, c’était qu’ils s’entendaient penser, dans leur étreinte. Ils ne pensaient qu’à cela, ils ne pouvaient plus être ensemble, sans en être obsédés. Le débat continuait, à quoi bon dire tout haut des mots inutiles, puisqu’il fallait agir ? Lorsqu’elle se haussait contre lui, pour une caresse, elle sentait le couteau, bossuant la poche du pantalon. Était-ce donc qu’il fût résolu ?

Mais ses pensées la débordaient, ses lèvres s’ouvrirent, d’un souffle à peine distinct.