Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/300

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— Tout à l’heure, il est remonté, je ne savais pas pourquoi… Puis, je l’ai vu prendre son revolver, qu’il avait oublié… C’est, à coup sûr, qu’il va faire une ronde.

Le silence retomba, et vingt pas plus loin seulement, il dit à son tour :

— Des maraudeurs, la nuit dernière, ont enlevé du plomb par ici… Il viendra tout à l’heure, c’est certain.

Alors, elle eut un petit frémissement, et tous deux redevinrent muets, marchant d’un pas ralenti. Un doute l’avait prise : était-ce bien le couteau qui renflait sa poche ? À deux reprises, elle le baisa, pour mieux se rendre compte. Puis, comme, à se frotter ainsi, le long de sa jambe, elle restait incertaine, elle laissa pendre sa main, tâta en le baisant encore. C’était bien le couteau. Mais lui, ayant compris, l’avait brusquement étouffée sur sa poitrine ; et il lui bégaya à l’oreille :

— Il va venir, tu seras libre.

Le meurtre était décidé, il leur sembla qu’ils ne marchaient plus, qu’une force étrangère les portait au ras du sol. Leurs sens avaient pris subitement une acuité extrême, le toucher surtout, car leurs mains l’une dans l’autre s’endolorissaient, le moindre effleurement de leurs lèvres devenait pareil à un coup d’ongle. Ils entendaient aussi les bruits qui se perdaient tout à l’heure, le roulement, le souffle lointain des machines, des chocs assourdis, des pas errants, au fond des ténèbres. Et ils voyaient la nuit, ils distinguaient les taches noires des choses, comme si un brouillard s’en était allé de leurs paupières : une chauve-souris passa, dont ils purent suivre les crochets brusques. Au coin d’un tas de charbon ils s’étaient arrêtés, immobiles, les oreilles et les yeux aux aguets, dans une tension de tout leur être. Maintenant, ils chuchotaient.

— N’as-tu pas entendu, là-bas, un cri d’appel ?

— Non, c’est un wagon qu’on remise.