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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/325

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lorsqu’il s’en présentait ? Tout finirait par s’arranger peut-être. Et il était résolu à goûter au moins la joie de cette journée, faisant des projets, rêvant de déjeuner avec elle au restaurant. Aussi, comme elle lui jetait un coup d’œil désolé, parce qu’il n’y avait pas de wagon de première en tête, et qu’elle était forcée de se mettre loin de lui, à la queue, avait-il voulu la consoler en lui souriant si gaiement. On arriverait toujours ensemble, on se rattraperait, là-bas, d’avoir été séparé. Même, après s’être penché pour la voir monter dans un compartiment, tout au bout, il avait poussé la belle humeur jusqu’à plaisanter le conducteur-chef, Henri Dauvergne, qu’il savait amoureux d’elle. La semaine précédente, il s’était imaginé que celui-ci s’enhardissait et qu’elle l’encourageait, par un besoin de distraction, voulant échapper à l’existence atroce qu’elle s’était faite. Roubaud le disait bien, elle finirait par coucher avec ce jeune homme, sans plaisir, dans l’unique envie de recommencer autre chose. Et Jacques avait demandé à Henri pour qui donc, la veille, caché derrière un des ormes de la cour du départ, il envoyait des baisers en l’air ; ce qui avait fait éclater d’un gros rire Pecqueux, en train de charger le foyer de la Lison, fumante, prête à partir.

Du Havre à Barentin, l’express avait marché à sa vitesse réglementaire, sans incident ; et ce fut Henri qui, le premier, du haut de sa cabine de vigie, au sortir de la tranchée, signala le fardier en travers de la voie. Le fourgon de tête se trouvait bondé de bagages, car le train, très chargé, amenait tout un arrivage de voyageurs, débarqués la veille d’un paquebot. À l’étroit, au milieu de cet entassement de malles et de valises, que faisait danser la trépidation, le conducteur-chef était debout à son bureau, classant des feuilles ; tandis que la petite bouteille d’encre, accrochée à un clou, se balançait, elle aussi, d’un mouvement continu. Après les stations où il déposait des