Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/358

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veux dire de faire ce plaisir à mon mari ou à toi, quand je vous voyais m’aimer si fort. Eh bien ! je n’ai pas pu, cette fois-là. Il m’a baisé les mains, pas même les lèvres, je te le jure. Il m’attend à Paris, plus tard, parce que je le voyais si malheureux, que je n’ai pas voulu le désespérer.

Elle avait raison, Jacques la croyait, il voyait bien qu’elle ne mentait pas. Et il était repris d’une angoisse, le trouble affreux de son désir grandissait, à penser qu’il était maintenant enfermé seul avec elle, loin du monde, dans la flamme rallumée de leur passion. Il voulut s’échapper, il s’écria :

— Mais l’autre encore, il y en a un autre, ce Cabuche !

Un brusque mouvement la ramena de nouveau.

— Ah ! tu t’es aperçu, tu sais cela aussi… Oui, c’est vrai, il y a celui-là encore. Je me demande ce qu’ils ont tous… Celui-là ne m’a jamais dit un mot. Mais je le vois bien qui se tord les bras, quand nous nous embrassons. Il m’entend te tutoyer, il pleure dans les coins. Et puis, il me vole tout, des affaires à moi, des gants, jusqu’à des mouchoirs qui disparaissent, qu’il emporte là-bas, dans sa caverne, comme des trésors… Seulement, tu ne vas pas t’imaginer que je suis capable de céder à ce sauvage. Il est trop gros, il me ferait peur. D’ailleurs, il ne demande rien… Non, non, ces grandes brutes, quand c’est timide, ça meurt d’amour, sans rien exiger. Tu pourrais me laisser un mois à sa garde, il ne me toucherait pas du bout des doigts, pas plus qu’il n’avait touché à Louisette, ça, j’en réponds aujourd’hui.

À ce souvenir, leurs regards se rencontrèrent, un silence régna. Les choses du passé s’évoquaient, leur rencontre chez le juge d’instruction, à Rouen, puis leur premier voyage à Paris, si doux, et leurs amours, au Havre, et tout ce qui avait suivi, de bon et de terrible. Elle se rapprocha,