Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/380

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secoués ensemble, pendant qu’on se mangerait. Justement, la Compagnie avait dû, la semaine précédente, séparer le mécanicien et le chauffeur de l’express de Cherbourg, parce que, désunis à cause d’une femme, le premier brutalisait le second qui n’obéissait plus : des coups, de vraies batailles en route, dans l’oubli complet de la queue de voyageurs roulant derrière eux, à toute vitesse.

Deux fois encore, Pecqueux rouvrit le foyer, y jeta du charbon, par désobéissance, cherchant une dispute sans doute ; et Jacques feignit de ne pas s’en apercevoir, l’air tout à la manœuvre, avec l’unique précaution chaque fois de tourner le volant de l’injecteur, pour diminuer la pression. Il faisait si doux, le petit vent frais de la marche était si bon, dans la chaude nuit de juillet ! À onze heures cinq, lorsque l’express arriva au Havre, les deux hommes firent la toilette de la machine d’un air de bon accord, comme autrefois.

Mais, au moment où ils quittaient le Dépôt pour aller se coucher rue François-Mazeline, une voix les appela.

— On est donc bien pressé ? Entrez une minute ! » C’était Philomène, qui, du seuil de la maison de son frère, devait guetter Jacques. Elle avait eu un mouvement de contrariété vive, en apercevant Pecqueux ; et elle ne se décidait à les héler ensemble, que pour le plaisir de causer au moins avec son nouvel ami, quitte à subir la présence de l’ancien.

— Fiche-nous la paix, hein ! gronda Pecqueux. Tu nous embêtes, nous avons sommeil.

— Est-il aimable ! reprit gaiement Philomène. Mais monsieur Jacques n’est pas comme toi, il prendrait tout de même un petit verre… N’est-ce pas, monsieur Jacques ?

Le mécanicien allait refuser, par prudence, quand le chauffeur, brusquement, accepta, cédant à l’idée de les guetter et de se faire une certitude. Ils entrèrent dans la cuisine, ils s’assirent devant la table, où elle avait posé