Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/383

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Roubaud !… Vous couchiez avec sa femme, vous. Un autre la lui tue. Et voilà qu’on l’envoie aux assises… Non, c’est à crever de rage !

— Mais, grande bête, s’écria Philomène, puisqu’on l’accuse d’avoir poussé l’autre à le débarrasser de sa femme, oui, pour des affaires d’argent, est-ce que je sais ! Il paraît qu’on a retrouvé chez Cabuche la montre du président Grandmorin : vous vous rappelez, le monsieur qu’on a assassiné en wagon, il y a dix-huit mois. Alors, on a raccroché ce mauvais coup avec le mauvais coup de l’autre jour, toute une histoire, une vraie bouteille à l’encre. Moi, je ne peux pas vous expliquer, mais c’était sur le journal, il y en avait bien deux colonnes.

Distrait, Jacques ne semblait pas même écouter. Il murmura :

— À quoi bon s’en casser la tête, est-ce que ça nous regarde ?… Si la justice ne sait pas ce qu’elle fait, ce n’est pas nous qui le saurons.

Puis, il ajouta, les yeux perdus au loin, les joues envahies de pâleur :

— Dans tout cela, il n’y a que cette pauvre femme… Ah ! la pauvre, la pauvre femme !

— Moi, conclut violemment Pecqueux, moi qui en ai une, de femme, si quelqu’un s’avisait de la toucher, je commencerais par les étrangler tous les deux. Après, on pourrait bien me couper le cou, ça me serait égal.

Il y eut un nouveau silence. Philomène, qui remplissait une seconde fois les petits verres, affecta de hausser les épaules, en ricanant. Mais elle était toute bouleversée au fond, elle l’étudiait d’un regard oblique. Il se négligeait beaucoup, très sale, en guenilles, depuis que la mère Victoire, devenue impotente à la suite de sa fracture, avait dû lâcher son poste de la salubrité et se faire admettre dans un hospice. Elle n’était plus là, tolérante et maternelle, pour lui glisser des pièces blanches, pour le raccommo-