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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/91

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elle se précipita, l’aida ; et les deux femmes levèrent les mains au ciel, poussèrent des exclamations, passionnées par la découverte d’un si abominable crime. Bien qu’on ne sût encore absolument rien, déjà des versions circulaient, autour d’elles, dans l’effarement des gestes et des visages. Dominant le bourdonnement des voix, Philomène elle-même, qui ne tenait le fait de personne, affirmait sur sa parole d’honneur que madame Roubaud avait vu l’assassin, Et le silence se fit, lorsque Pecqueux reparut, accompagné de cette dernière.

— Voyez-la donc ! murmura madame Lebleu, Si l’on dirait la femme d’un sous-chef, avec son air de princesse ! Ce matin, avant le jour, elle était déjà ainsi, peignée et corsetée comme si elle allait en visite.

Ce fut à petits pas réguliers que Séverine s’avança. Il y avait tout un long bout du quai à suivre, sous les yeux qui la regardaient venir ; et elle ne faiblissait pas, elle appuyait simplement son mouchoir sur ses paupières, dans la grosse douleur qu’elle venait d’éprouver, en apprenant le nom de la victime. Vêtue d’une robe de laine noire, très élégante, elle semblait porter le deuil de son protecteur. Ses lourds cheveux sombres luisaient au soleil, car elle n’avait pas même pris le temps de se couvrir la tête, malgré le froid. Ses yeux bleus si doux, pleins d’angoisse et noyés de larmes, la rendaient très touchante.

— Bien sûr qu’elle a raison de pleurer, dit à demi-voix Philomène. Les voilà fichus, maintenant qu’on a tué leur bon Dieu.

Lorsque Séverine fut là, au milieu de tout ce monde, devant la portière ouverte du coupé, M, Cauche et Roubaud en descendirent et, tout de suite, ce dernier commença à dire ce qu’il savait.

— N’est-ce pas ? ma chère, hier matin, dès notre arrivée à Paris, nous sommes allés voir monsieur Grand-