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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/93

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— Le soir, nous sommes partis… Avant de nous installer dans notre compartiment, j’ai causé avec M. Vandorpe, le chef de gare. Et je n’ai rien vu du tout. J’étais très ennuyé, parce que je nous croyais seuls, et qu’il y avait, dans un coin, une dame que je n’avais pas remarquée ; d’autant plus que deux autres personnes, un ménage, sont encore montées au dernier moment… Jusqu’à Rouen non plus, rien de particulier, je n’ai rien vu… Aussi, à Rouen, comme nous étions descendus pour nous dégourdir les jambes, quelle n’a pas été notre surprise, d’apercevoir, à trois ou quatre voitures de la nôtre, monsieur Grandmorin, debout à la portière d’un coupé ! « Comment, monsieur le Président, vous êtes parti ? Ah ! bien, nous ne nous doutions guère de voyager avec vous ! » Et il nous a expliqué qu’il avait reçu une dépêche… On a sifflé, nous sommes remontés vite dans notre compartiment, où, par parenthèse, nous n’avons retrouvé personne, tous nos compagnons de route s’étant arrêtés à Rouen, ce qui ne nous a pas fait de peine… Et voilà ! c’est bien tout, ma chère, n’est-ce pas ?

— Oui, c’est bien tout.

Ce récit, si simple qu’il fût, avait fortement impressionné l’auditoire. Tous attendaient de comprendre, la face béante. Le commissaire, cessant d’écrire, exprima la surprise générale, en demandant :

— Et vous êtes sûr qu’il n’y avait personne dans le coupé, avec monsieur Grandmorin ?

— Oh ! ça, absolument sûr.

Un frémissement courut. Ce mystère qui se posait, soufflait de la peur, un petit froid que chacun sentit passer sur sa nuque. Si le voyageur était seul, par qui avait-il pu être assassiné et jeté du coupé, à trois lieues de là, avant un nouvel arrêt du train ?

Dans le silence, on entendit la voix mauvaise de Philomène.