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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

sirée eut des rires clairs, en écoutant une histoire que son père racontait, enchanté d’être enfin à table. Cependant, l’abbé Faujas, qu’ils avaient oublié, restait assis sur la terrasse, immobile, en face du soleil couchant. Il ne tournait pas la tête ; il semblait ne pas entendre. Comme le soleil allait disparaître, il se découvrit, étouffant sans doute. Marthe, placée devant la fenêtre, aperçut sa grosse tête nue, aux cheveux courts, grisonnant déjà vers les tempes. Une dernière lueur rouge alluma ce crâne rude de soldat, où la tonsure était comme la cicatrice d’un coup de massue ; puis, la lueur s’éteignit, le prêtre, entrant dans l’ombre, ne fut plus qu’un profil noir sur la cendre grise du crépuscule.

Ne voulant pas appeler Rose, Marthe alla chercher elle-même une lampe et servit le premier plat. Comme elle revenait de la cuisine, elle rencontra, au pied de l’escalier, une femme qu’elle ne reconnut pas d’abord. C’était madame Faujas. Elle avait mis un bonnet de linge ; elle ressemblait à une servante, avec sa robe de cotonnade, serrée au corsage par un fichu jaune, noué derrière la taille ; et, les poignets nus, encore toute soufflante de la besogne qu’elle venait de faire, elle tapait ses gros souliers lacés sur le dallage du corridor.

— Voilà qui est fait, n’est-ce pas, madame ? lui dit Marthe en souriant.

— Oh ! une misère, répondit-elle ; en deux coups de poing, l’affaire a été bâclée.

Elle descendit le perron, elle radoucit sa voix :

— Ovide, mon enfant, veux-tu monter ? Tout est prêt là-haut.

Elle dut toucher son fils à l’épaule pour le tirer de sa rêverie. L’air fraîchissait. Il frissonna, il la suivit sans parler. Comme il passait devant la porte de la salle à manger, tout blanche de la clarté vive de la lampe, toute