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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

marchait pas. Je crois que je l’ai entendue jurer, sauf votre respect.

Mouret semblait s’amuser beaucoup.

— Et les lits ? reprit-il.

— Les lits, c’est elle qui les a faits… Il faut la voir retourner un matelas. Ça ne pèse pas lourd, je vous en réponds ; elle le prend par un bout, le jette en l’air comme une plume… Avec ça, très-soigneuse. Elle a bordé le lit de sangle, comme un dodo d’enfant. Elle aurait eu à coucher l’enfant Jésus, qu’elle n’aurait pas tiré les draps avec plus de dévotion… Des quatre couvertures, elle en a mis trois sur le lit de sangle. C’est comme des oreillers : elle n’en a pas voulu pour elle ; son fils a les deux.

— Alors elle va coucher par terre ?

— Dans un coin, comme un chien. Elle a jeté un matelas sur le plancher de l’autre chambre, en disant qu’elle allait dormir là, mieux que dans le paradis. Jamais je n’ai pu la décider à s’arranger plus proprement. Elle prétend qu’elle n’a jamais froid et que sa tête est trop dure pour craindre le carreau… Je leur ai donné de l’eau et du sucre, comme madame me l’avait recommandé, et voilà… N’importe, ce sont de drôles de gens.

Rose acheva de servir le dîner. Les Mouret, ce soir-là, firent traîner le repas. Ils causèrent longuement des nouveaux locataires. Dans leur vie d’une régularité d’horloge, l’arrivée de ces deux personnes étrangères était un gros événement. Ils en parlaient comme d’une catastrophe, avec ces minuties de détails qui aident à tuer les longues soirées de province. Mouret, particulièrement, se plaisait aux commérages de petite ville. Au dessert, les coudes sur la table, dans la tiédeur de la salle à manger, il répéta pour la dixième fois, de l’air satisfait d’un homme heureux :

— Ce n’est pas un beau cadeau que Besançon fait à Plas-