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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

comme vous n’avaient pas leurs aises ? Laissez-nous faire, le bon Dieu payera cette dette.

Madame Faujas, assise à table en face de son fils, souriait de toutes ces cajoleries. Elle se prenait à aimer Marthe et Rose ; elle trouvait, d’ailleurs, leur adoration naturelle, les regardait comme très-heureuses d’être ainsi à genoux devant son dieu. La tête carrée, mangeant lentement et beaucoup, en paysanne qui va loin en besogne, elle présidait réellement les repas, voyant tout sans perdre un coup de fourchette, veillant à ce que Marthe restât dans son rôle de servante, couvant son fils d’un regard de jouissance satisfaite. Elle ne parlait que pour dire en trois mots les goûts de l’abbé ou pour couper court aux refus polis qu’il hasardait encore. Parfois, elle haussait les épaules, lui poussait le pied. Est-ce que la table n’était pas à lui ? Il pouvait bien manger le plat tout entier, si cela lui faisait plaisir ; les autres se seraient contentés de mordre à leur pain sec en le regardant.

Quant à l’abbé Faujas, il restait indifférent aux soins tendres dont il était l’objet ; très-frugal, mangeant vite, l’esprit occupé ailleurs, il ne s’apercevait souvent pas des gâteries qu’on lui réservait. Il avait cédé aux instances de sa mère, en acceptant la compagnie des Mouret ; il ne goûtait, dans la salle à manger du rez-de-chaussée, que la joie d’être absolument débarrassé des soucis de la vie matérielle. Aussi gardait-il une tranquillité superbe, peu à peu habitué à voir ses moindres désirs devinés, ne s’étonnant plus, ne remerciant plus, régnant dédaigneusement entre la maîtresse de la maison et la cuisinière, qui épiaient avec anxiété les moindres plis de son visage grave.

Et Mouret, assis en face de sa femme, restait oublié. Il se tenait, les poignets au bord de la table, comme un enfant, en attendant que Marthe voulût bien songer à lui. Elle le servait le dernier, au hasard, maigrement. Rose, de-