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Page:Emile Zola - La Conquête de Plassans.djvu/242

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LES ROUGON-MACQUART.

bout derrière elle, l’avertissait, lorsqu’elle se trompait et qu’elle tombait sur un bon morceau.

— Non, non, pas ce morceau-là… Vous savez que monsieur aime la tête ; il suce les petits os.

Mouret, diminué, mangeait avec des hontes de pique-assiette. Il sentait que madame Faujas le regardait lorsqu’il se coupait du pain. Il réfléchissait une grande minute, les yeux sur la bouteille, avant d’oser se servir à boire. Une fois, il se trompa, prit trois doigts du bordeaux de monsieur le curé. Ce fut une belle affaire ! Pendant un mois, Rose lui reprocha ces trois doigts de vin. Quand elle faisait quelque plat de sucrerie, elle s’écriait :

— Je ne veux pas que monsieur y goûte… Il ne m’a jamais fait un compliment. Une fois, il m’a dit que mon omelette au rhum était brûlée. Alors, je lui ai répondu : « Elles seront toujours brûlées pour vous. » Entendez-vous, madame, n’en donnez pas à monsieur.

Puis, c’étaient des taquineries. Elle lui passait les assiettes fêlées, lui mettait un pied de la table entre les jambes, laissait à son verre les peluches du torchon, posait le pain, le vin, le sel, à l’autre bout de la table. Mouret seul aimait la moutarde ; il allait lui-même chez l’épicier en acheter des pots, que la cuisinière faisait régulièrement disparaître, sous prétexte que « ça puait. » La privation de moutarde suffisait à lui gâter ses repas. Ce qui le désespérait plus encore, ce qui lui coupait absolument l’appétit, c’était d’avoir été chassé de sa place, de la place qu’il avait occupée de tout temps, devant la fenêtre, et qu’on donnait au prêtre comme étant la plus agréable. Maintenant, il faisait face à la porte ; il lui semblait manger chez des étrangers, depuis qu’à chaque bouchée il ne pouvait jeter un coup d’œil sur ses arbres fruitiers.

Marthe n’avait pas les aigreurs de Rose ; elle le traitait en parent pauvre, qu’on tolère ; elle finissait par ignorer qu’il