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Page:Emile Zola - La Conquête de Plassans.djvu/265

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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

il la jetait à terre d’un mot, il l’écrasait sous la volonté du ciel. Jamais elle n’osa parler. Il y avait entre elle et cet homme un mur de colère et de dégoût. Quand il sortait des courtes luttes qu’il avait à soutenir avec elle, il haussait les épaules, plein du mépris d’un lutteur arrêté par un enfant. Il se lavait, il se brossait, comme s’il eût touché malgré lui à une bête impure.

— Pourquoi ne te sers-tu pas de la douzaine de mouchoirs que madame Mouret t’a donnée ? lui demandait sa mère. La pauvre femme serait si heureuse de les voir dans tes mains. Elle a passé un mois à les broder à ton chiffre.

Il avait un geste rude, il répondait :

— Non, usez-les, mère. Ce sont des mouchoirs de femme. Ils ont une odeur qui m’est insupportable.

Si Marthe pliait devant le prêtre, si elle n’était plus que sa chose, elle s’aigrissait chaque jour davantage, devenait querelleuse dans les mille petits soucis de la vie. Rose disait qu’elle ne l’avait jamais vue « si chipotière. » Mais sa haine grandissait surtout contre son mari. Le vieux levain de rancune des Rougon s’éveillait en face de ce fils d’une Macquart, de cet homme qu’elle accusait d’être le tourment de sa vie. En bas, dans la salle à manger, lorsque madame Faujas ou Olympe venait lui tenir compagnie, elle ne se gênait plus, elle accablait Mouret.

— Quand on pense qu’il m’a tenue vingt ans, comme un employé, la plume à l’oreille, entre une jarre d’huile et un sac d’amandes ! Jamais un plaisir, jamais un cadeau… Il m’a enlevé mes enfants. Il est capable de se sauver, un de ces matins, pour faire croire que je lui rends la vie impossible. Heureusement que vous êtes là. Vous diriez partout la vérité.

Elle se jetait ainsi sur Mouret sans provocation aucune. Tout ce qu’il faisait, ses regards, ses gestes, les rares paroles qu’il prononçait la mettaient hors d’elle-même. Elle ne