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Page:Emile Zola - La Conquête de Plassans.djvu/315

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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

plus active de l’abbé Faujas. Elle lui conquit ses amis et les amis de ses amis. Elle partait en campagne chaque matin, faisant une étonnante propagande, rien qu’à l’aide des petits saluts qu’elle jetait du bout de ses doigts gantés. Elle agissait surtout sur les bourgeoises, elle décuplait l’influence féminine, dont le prêtre avait senti l’absolue nécessité, dès ses premiers pas dans le monde étroit de Plassans. Ce fut elle qui ferma la bouche aux Paloque, qui s’acharnaient sur la maison des Mouret ; elle jeta un gâteau de miel à ces deux monstres.

— Vous nous tenez donc rancune, chère dame ? dit-elle un jour à la femme du juge, qu’elle rencontra. Vous avez grand tort ; vos amis ne vous oublient pas, ils s’occupent de vous, ils vous ménagent une surprise.

— Une belle surprise ! quelque casse-cou ! s’écria aigrement madame Paloque. Allez, on ne se moquera plus de nous ; j’ai bien juré de rester dans mon coin.

Madame de Condamin souriait.

— Que diriez-vous, demanda-t-elle, si M. Paloque était décoré ?

La femme du juge resta muette. Un flot de sang lui bleuit la face et la rendit affreuse.

— Vous plaisantez, bégaya-t-elle ; c’est encore un coup monté contre nous… Si ce n’était pas vrai, je ne vous pardonnerais de la vie.

La belle Octavie dut lui jurer que rien n’était plus vrai. La nomination était sûre ; seulement, elle ne paraîtrait au Moniteur qu’après les élections, parce que le gouvernement ne voulait pas avoir l’air d’acheter les voix de la magistrature. Et elle laissa entendre que l’abbé Faujas n’était pas étranger à cette récompense attendue depuis si longtemps ; il en avait causé avec le sous-préfet.

— Alors, mon mari avait raison, dit madame Paloque, effarée. Voilà longtemps qu’il me fait des scènes abominables