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LES ROUGON-MACQUART.

Le sourire dont il accompagna ces dernières paroles inquiéta vivement Félicité. Elle le regardait en face.

— Quelle peine avez-vous prise pour la famille ? dit-elle. Vous n’allez peut-être pas me reprocher d’avoir ramené ma pauvre Marthe des Tulettes… D’ailleurs, je vous le répète, tout ceci m’a l’air bien louche. J’ai questionné Rose, il paraît que vous aviez l’idée de venir droit ici… Je m’étonne aussi que vous n’ayez pas frappé plus fort, rue Balande ; on vous aurait ouvert… Ce n’est pas que je sois fâchée d’avoir la chère enfant chez moi ; elle mourra au moins parmi les siens, elle n’aura que des visages amis autour d’elle…

L’oncle parut très-surpris ; il l’interrompit d’un air inquiet.

— Je vous croyais au mieux avec l’abbé Faujas ?

Elle ne répondit pas ; elle s’approcha de Marthe, dont le souffle devenait plus douloureux. Quand elle revint, elle vit Macquart qui, soulevant le rideau, semblait interroger la nuit, en frottant la vitre humide de la main.

— Ne partez pas demain avant de causer avec moi, lui recommanda-t-elle ; je veux éclaircir tout ceci.

— Comme vous voudrez, répondit-il. On serait bien embarrassé pour vous faire plaisir. Vous aimez les gens, vous ne les aimez plus… Moi, je m’en moque ; je vais toujours mon petit bonhomme de chemin.

Il était évidemment très-contrarié d’apprendre que les Rougon ne faisaient plus cause commune avec l’abbé Faujas. Il tapait la vitre du bout des doigts, sans quitter des yeux la nuit noire. À ce moment, une grande lueur rougit le ciel.

— Qu’est-ce donc ? demanda Félicité.

Il ouvrit la croisée, il regarda.

— On dirait un incendie, murmura-t-il, d’un ton paisible. Ça brûle derrière la sous-préfecture.

La place s’emplissait de bruit. Un domestique entra tout