Page:Emile Zola - La Curée.djvu/312

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
312
LES ROUGON-MACQUART

il se cachait les yeux de la main, et restait d’une froideur de glace. Les costumes de ces deux personnages avaient surtout coûté une peine infinie à l’imagination de M. Hupel de la Noue. Narcisse, en demi-dieu rôdeur de forêts, portait un costume de chasseur idéal : maillot verdâtre, courte veste collante, rameau de chêne dans les cheveux. La robe de la nymphe Écho était, à elle seule, toute une allégorie ; elle tenait des grands arbres et des grands monts, des lieux retentissants où les voix de la Terre et de l’Air se répondent ; elle était rocher par le satin blanc de la jupe, taillis par les feuillages de la ceinture, ciel pur par la nuée de gaze bleue du corsage. Et les groupes gardaient une immobilité de statue, la note charnelle de l’Olympe chantait dans l’éblouissement du large rayon, pendant que le piano continuait sa plainte d’amour aiguë, coupée de profonds soupirs.

On trouva généralement que Maxime était admirablement fait. Dans son geste de refus, il développait sa hanche gauche, qu’on remarqua beaucoup. Mais tous les éloges furent pour l’expression de visage de Renée. Selon le mot de M. Hupel de la Noue, elle était « la douleur du désir inassouvi. » Elle avait un sourire aigu qui cherchait à se faire humble, elle quêtait sa proie avec des supplications de louve affamée qui ne cache ses dents qu’à demi. Le premier tableau marcha bien, sauf cette folle d’Adeline qui bougeait et qui retenait à grand’peine une irrésistible envie de rire. Puis, les rideaux se refermèrent, le piano se tut.

Alors, on applaudit discrètement, et les conversations reprirent. Un grand souffle d’amour, de désir contenu, était venu des nudités de l’estrade, courait le salon, où les femmes s’alanguissaient davantage sur leurs sièges,