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LA CURÉE

tandis que les hommes, à l’oreille, se parlaient bas, avec des sourires. C’était un chuchotement d’alcôve, un demi-silence de bonne compagnie, un souhait de volupté à peine formulé par un frémissement de lèvres ; et, dans les regards muets, se rencontrant au milieu de ce ravissement de bon ton, il y avait la hardiesse brutale d’amours offertes et acceptées d’un coup d’œil.

On jugeait sans fin les perfections de ces dames. Leurs costumes prenaient une importance presque aussi grande que leurs épaules. Quand les Mignon et Charrier voulurent questionner M. Hupel de la Noue, ils furent tout surpris de ne plus le voir à côté d’eux ; il avait déjà plongé derrière l’estrade.

— Je vous racontais donc, ma toute belle, dit madame Sidonie, en reprenant une conversation interrompue par le premier tableau, que j’avais reçu une lettre de Londres, vous savez ? pour l’affaire des trois milliards… La personne que j’ai chargée de faire des recherches m’écrit qu’elle croit avoir trouvé le reçu du banquier. L’Angleterre aurait payé… J’en suis malade depuis ce matin.

Elle était en effet plus jaune que de coutume, dans sa robe de magicienne semée d’étoiles. Et, comme madame Michelin ne l’écoutait pas, elle continua à voix plus basse, murmurant que l’Angleterre ne pouvait avoir payé, et que décidément elle irait à Londres elle-même.

— Le costume de Narcisse était bien joli, n’est-ce pas ? demanda Louise à madame Michelin.

Celle-ci sourit. Elle regardait le baron Gouraud, qui semblait tout ragaillardi dans son fauteuil. Madame Sidonie, voyant où allait son regard, se pencha, lui chuchota à l’oreille, pour que l’enfant n’entendît pas :