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Page:Emile Zola - La Curée.djvu/319

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LA CURÉE

porte du salon. Saccard, qui guettait impatiemment son frère, voulut se précipiter à sa rencontre. Mais celui-ci, d’un geste, le pria de ne pas bouger. Et il vint doucement jusqu’au groupe des hommes graves. Quand les rideaux se furent refermés et qu’on l’eut aperçu, un long chuchotement courut le salon, les têtes se retournèrent : le ministre balançait le succès des Amours du beau Narcisse et de la nymphe Écho.

— Vous êtes un poète, monsieur le préfet, dit-il en souriant à M. Hupel de la Noue. Vous avez publié autrefois un volume de vers, les Volubilis, je crois ?… Je vois que les soucis de l’administration n’ont pas tari votre imagination.

Le préfet sentit, dans ce compliment, la pointe d’une épigramme. La présence brusque de son chef le décontenança d’autant plus, qu’en s’examinant d’un coup d’œil pour voir si sa tenue était correcte, il aperçut, sur la manche de son habit, la petite main blanche, qu’il n’osa pas essuyer. Il s’inclina, balbutia.

— Vraiment, continua le ministre, en s’adressant à M. Toutin-Laroche, au baron Gouraud, aux personnages qui se trouvaient là, tout cet or était un merveilleux spectacle… Nous ferions de grandes choses, si M. Hupel de la Noue battait monnaie pour nous.

C’était, en langue ministérielle, le même mot que celui des Mignon et Charrier. Alors M. Toutin-Laroche et les autres firent leur cour, jouèrent sur la dernière phrase du ministre : l’Empire avait déjà fait des merveilles ; ce n’était pas l’or qui manquait, grâce à la haute expérience du pouvoir ; jamais la France n’avait eu une situation aussi belle devant l’Europe ; et ces messieurs finirent par devenir si plats, que le ministre changea lui-même la