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Page:Emile Zola - La Fortune des Rougon.djvu/37

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LA FORTUNE DES ROUGON.

sée les contingents des campagnes, il lui sembla que l’élan de la colonne s’accélérait encore, à chaque parole du jeune homme. Bientôt ce fut un emportement, une poussière d’hommes balayée par une tempête. Tout se mit à tourner devant elle. Elle ferma les yeux. De grosses larmes chaudes coulaient sur ses joues.

Silvère avait, lui aussi, des pleurs au bord des cils.

— Je ne vois pas les hommes qui ont quitté Plassans cette après-midi, murmura-t-il.

Il tâchait de distinguer le bout de la colonne, qui se trouvait encore dans l’ombre. Puis il cria avec une joie triomphante :

— Ah ! les voici !… Ils ont le drapeau, on leur a confié le drapeau !

Alors il voulut sauter du talus pour aller rejoindre ses compagnons ; mais, à ce moment, les insurgés s’arrêtèrent. Des ordres coururent le long de la colonne. La Marseillaise s’éteignit dans un dernier grondement, et l’on n’entendit plus que le murmure confus de la foule, encore toute vibrante. Silvère, qui écoutait, put comprendre les ordres que les contingents se transmettaient et qui appelaient les gens de Plassans en tête de la bande. Comme chaque bataillon se rangeait au bord de la route pour laisser passer le drapeau, le jeune homme, entraînant Miette, se mit à remonter le talus.

— Viens, lui dit-il, nous serons avant eux de l’autre côté du pont.

Et quand ils furent en haut, dans les terres labourées, ils coururent jusqu’à un moulin dont l’écluse barre la rivière. Là, ils traversèrent la Viorne sur une planche que les meuniers y ont jetée. Puis ils coupèrent en biais les prés Sainte-Claire, toujours se tenant par la main, toujours courant, sans échanger une parole. La colonne faisait, sur le grand chemin, une ligne sombre qu’ils suivirent le long des haies. Il