Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/100

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toute froide d’une rage contenue, ayant la sensation nette que sa pupille savait où elle allait prendre les deux francs quatre-vingt-cinq. Aussi pourquoi lui avait-elle si souvent montré l’argent dormant dans le tiroir ? Son ancienne probité bavarde l’exaspérait, cette petite devait la suivre en imagination, la voir ouvrir, fouiller, refermer. Quand elle fut redescendue et qu’elle eut payé le boulanger, sa colère éclata contre la jeune fille.

— Eh bien ! ta robe est propre, d’où viens-tu ?… Hein ? tu as tiré de l’eau pour le potager. Laisse donc Véronique faire sa besogne. Ma parole ! tu te salis exprès, tu n’as pas l’air de savoir ce que ça coûte… Ta pension n’est pas si grosse, je ne peux plus joindre les deux bouts…

Et elle continua. Pauline, qui avait d’abord tâché de se défendre, l’écoutait maintenant sans une parole, le cœur gros. Depuis quelque temps, sa tante l’aimait de moins en moins, elle le sentait bien. Lorsqu’elle se retrouva seule avec Véronique, elle pleura ; et la bonne se mit à bousculer ses casseroles, comme pour éviter de prendre parti. Elle grondait toujours contre la jeune fille ; mais il y avait à présent, dans sa rudesse, des réveils de justice.

L’hiver arriva, Lazare perdit courage. Une fois encore, sa passion avait tourné, l’usine le répugnait et l’épouvantait. En novembre, la peur le saisit, devant un nouvel embarras d’argent. Il en avait surmonté d’autres, celui-là le laissa tremblant, désespérant de tout, accusant la science. Son idée d’exploitation était stupide, on aurait beau perfectionner les méthodes, on n’arracherait jamais à la nature ce qu’elle ne voudrait pas donner ; et il écrasait son maître lui-même, l’illustre Herbelin, qui, ayant